vendredi 2 mai 2008

Troubles métaboliques et autisme

Article de Francis Rocchiccioli, 2002

Dr. Francis Rocchiccioli, Laboratoire de Biochimie et Inserm U 561, Hôpital Cochin Saint-Vincent de Paul (Université René Descartes), 82 avenue Denfert-Rochereau, 75674 Paris Cedex 14

Il n’est point de secrets que le temps ne révèle…

Jean Racine, Britannicus, Acte IV, Scène 4

La recherche sur internet du terme autism(e) fournit environ 51.000 réponses en français et 568.000 en anglais ; gluten free diet en donne 32.600 ; mercure 315.000 ; mercury 3.460.000 et mercury & autism 14.500. De très nombreuses anomalies y sont décrites (http://www.autism.com/contents.html, http://www.panix.com/~don wiss/reichelt.html, http://www.healing-arts.org/children/autism-overview.htm…). Je me limiterai volontairement dans cet exposé aux peptides urinaires liés à l’absorption de gluten et de caséine, aux acides gras à très longue chaîne et polyinsaturés et aux métaux lourds.

L’autisme est-il réellement une « maladie » ou un syndrome ou simplement un terme qui englobe une certaine population très hétérogène d’enfants qui présentent des troubles du comportement ? Il importe peu, le problème primordial n’est pas là et des causes multiples d’apparition de troubles du comportement ont très souvent été constatées avec un effet commun, l’absence de langage lié à une asociabilité. Il n’y a aucune donnée statistique française de l’incidence de l’autisme ; les Américains ont observé une augmentation sur cinq ans (de 1993 à 1998) de plus de 500 % dans le Maryland, avec une fréquence actuelle de l’ordre de 1/150, dépassant largement la « barre » des maladies rares ou orphelines (1/2000 naissances) (http://orphanet. infobiogen.fr). Des études génétiques ont été entreprises pour trouver l’origine de l’autisme ; les chromosomes 6, 7 et 15 sont par exemple impliqués dans l’étude PARIS (mai 2001, Inserm), mais la variation impressionnante de 500 % semble raisonnablement plus liée à une cause environnementale qu’à une cause purement génétique où la fréquence d’apparition d’une pathologie donnée reste relativement constante malgré les générations successives.

On en est actuellement dans l’autisme au stade de la validation des marqueurs biologiques. Je ne veux pas démontrer que l’autisme est une maladie métabolique ou héréditaire, bien qu’on puisse la considérer comme telle à l’écoute des autres orateurs de ce congrès, mais plutôt essayer de présenter la difficulté et la prudence nécessaires à aborder ce type de recherches. Je résume brièvement le temps consacré à l’exploration complète, du marqueur biologique à la thérapie génique, de l’adrénoleucodystrophie liée au chromosome X (ALD-X), maladie du peroxysome pour laquelle je me suis spécialisé depuis 1984 dans le diagnostic biologique. Les marqueurs sont les acides gras à très longue chaîne (≥ C22) ou VLCFA [1], le diagnostic anténatal a rapidement été réalisé sur villosités choriales [2], la première greffe de moelle réalisée en France en 1989 [3], le traitement à « l’huile de Lorenzo » (acide érucique) préconisé vers 1990 [4], la localisation du gène (sur l’X) en 1992 (Aubourg et al, Nature 1993), la normalisation des VLCFA par introduction du gène dans les fibroblastes vers 1994 [5], le modèle animal disponible en 1997 (souris KO pour l’ALDP), et les essais de normalisation par transfection de gènes sur des souris KO (2001-2002) sont encore en cours. Quasiment 20 ans donc ! Malgré l’avancée dans la connaissance du génome, le gain de temps grâce à internet, certains délais restent néanmoins incompressibles. Je ne ferai que citer les syndromes de Zellweger et de Smith-Lemli-Opitz décrits cliniquement en 1964 et dont les marqueurs biologiques ont été identifiés respectivement 20 et 30 ans plus tard…

Une autre difficulté est délicate à aborder dans une pathologie non encore parfaitement bien ciblée biologiquement : la gravité des signes cliniques est souvent indépendante du degré d’accumulation du marqueur biologique, rendant donc sa spécificité d’autant plus difficile à démontrer dans le cas d’une faible augmentation d’un marqueur dans une nouvelle pathologie. Pour l’ALD-X, les variations cérébrale et plasmatique des marqueurs par rapport à la normale sont « très faibles » (facteur 4 à 5) bien que la maladie entraîne souvent une démyélinisation du système nerveux central. Des facteurs extérieurs (environnementaux et/ou alimentaires) favorisant le déclenchement de la maladie sont d’ailleurs maintenant mis en cause. Un déficit du complexe E3 de la pyruvate déshydrogénase (PDH), à déclaration néonatale, entraîne une augmentation du lactate plasmatique d’un facteur 10 à 20, et paradoxalement, l’alcaptonurie (déficit en homogentisate oxydase), où l’acide homogentisique urinaire est augmenté par un facteur 1000 au moins, n’aura aucune incidence clinique jusqu’à l’âge adulte. La plus grande prudence est donc de rigueur dans le choix d’un marqueur postulé être caractéristique. Le choix est d’autant plus difficile que le nombre de voies métaboliques perturbées est impressionnant, sans qu’il y ait de lien biochimique évident ou apparent entre tous ces métabolismes.

Une autre difficulté se présente pour les pathologies liées par exemple à l’ingestion de gluten. La maladie cœliaque est bien connue et tous les spécialistes se basent essentiellement sur les anticorps sanguins (anti-gliadine, anti-endomysium, anti-transglutaminase, IgA, IgE, IgG….) et sur l’histologie (biopsie intestinale). C’est une des raisons pour lesquelles j’ai développé depuis 1993 un test de perméabilité intestinale différentiel au mannitol et au lactitol comme outil diagnostique en Gastroentérologie ; ce test permet d’évaluer l’état de la membrane intestinale et d’éviter, si le résultat est normal, une biopsie [6]. Les peptides urinaires, dont vient de parler le Pr Reichelt, sont souvent ignorés des gastroentérologues adultes. La normalité des différents anticorps sanguins précédemment cités ne doit pas pour autant permettre d’exclure en toute certitude une sensibilité ou réactivité particulière aux protéines du gluten ; de très nombreux exemples montrent en effet des profils de peptides urinaires dominés par le gluten et ses produits de dégradation, et surtout une amélioration considérable et une reprise rapide de poids chez certains de ces patients après mise en route d’un régime d’exclusion du gluten (SG).

J’ai abordé biologiquement les troubles du comportement fin 1999 pour un petit garçon, David, ayant vers 2 ans des troubles autistiques et qui a miraculeusement progressé (pour être maintenant normal) grâce à l’opiniâtreté de sa mère qui l’a mis contre tout avis médical au régime sans gluten et sans caséine (SGSC)… Depuis, j’ai eu la possibilité de participer à l’exploration métabolique d’environ 320 patients, essentiellement des garçons, mais aussi des filles et quelques adultes, environ la moitié provenant du propre recrutement de madame Arod (elke@hyperactif.org). Le changement alimentaire a très souvent été proposé avec supplémentation vitaminique, nombreux ont été ceux mis au régime SGSC, beaucoup ont considérablement évolué … à tel point qu’ils se sont mis quasiment tous à progresser, pour la plupart à parler (ou reparler) et très rares sont ceux pour qui ce type de régime n’a eu aucun effet… Parmi les enfants devenus normaux, je ne citerai que trois exemples significatifs de troubles du comportement entraînant des rechutes immédiates à la suite d’un « écart alimentaire » ce qui incite très fortement à faire un régime le plus strict possible quand il est instauré : caséine pour David, médicament homéopathique (au lactose) pour Steven et crêpes pour Karl. Il est malgré tout probable que cette sensibilité alimentaire s’atténue progressivement au cours des années, bien que le traitement soit classiquement à vie pour la maladie cœliaque.

Sans avoir exploré de façon exhaustive toutes les maladies génétiques les plus fréquemment retrouvées dans les troubles du comportement, il ne m’a été possible sur ces 320 patients de ne mettre en évidence que huit maladies génétiquement prouvées : David a une maladie liée à l’X, Solène a un syndrome de Rett, Nicolas a un syndrome de Rett (sa mère est hétérozygote), Paul et Philippe ont une myopathie de Duchenne et Becker, Guillaume a une thalassémie, Anthony C a un trouble du métabolisme des purines, et Anthony L probablement une maladie de Wilson (en cours de confirmation par recherche d’une mutation sur le chromosome 13). Cette liste comprend une seule fille et sept garçons (87,5 %), proche donc du nombre précédemment énoncé de 80 % de garçons dans la population des autistes, et quatre maladies liées à l’X chez les garçons… C’est très peu au total (2,5 %) et très diversifié, et probablement la valeur est-elle obtenue par défaut en raison de l’absence de recherche systématique, mais proche de la valeur fournie officiellement par le Professeur Fombonne au cours d’un colloque sur l’autisme fin 1999 à la Défense où il annonçait 6 à 7 %…

Deux des patients précédents, Guillaume et Nicolas, ont eu à subir involontairement une exposition massive au mercure. Guillaume a subi sous anesthésie générale la pose de huit amalgames dans un hôpital parisien en octobre 2000, et une épreuve dynamique au DMPS a tout récemment démontré clairement une intoxication mercurielle. Quant à Nicolas, c’est sa mère qui a été très lourdement intoxiquée accidentellement avant sa naissance… Par ailleurs, le Thimerosal, présent dans de nombreux vaccins, est incriminé dans la croissance des neurites en ayant un effet toxique sur la tubuline et l’actine. Mais la liste s’allonge progressivement de cas démontrés d’intoxications aux métaux lourds par le dosage dans différents milieux biologiques : plasma, culot globulaire, urine, cheveux et selles. L’administration de DMPS, de DMSA ou d’EDTA est souvent nécessaire pour mettre en évidence une intoxication ancienne. Il est probable que les métaux lourds et les peptides provenant du gluten et de la caséine aient en plus un effet synergique, et aggraver encore plus l’état mental de l’autiste : les progrès sous régime SGSC sont souvent spectaculaires sur la propreté (surtout SC), le contact, la croissance et le langage, mais ils peuvent être parfois décuplés par la prise de DMPS malgré tout à utiliser avec la plus grande prudence car ce dernier peut aussi complexer des éléments essentiels au métabolisme comme le calcium, le magnésium ou le zinc.

En étant spécialiste du diagnostic biochimique des maladies du peroxysome (ALD-X, syndrome de Zellweger et pathologies associées), j’ai étudié chez une cinquantaine de petits autistes les VLCFA aussi bien plasmatiques que globulaires par dilution isotopique sans jamais trouver la moindre anomalie, contrairement à ce que prétendent certains Américains qui parlent de défaut de fonctionnalisation du peroxysome ( ?). Par ailleurs, en étant également spécialisé dans le diagnostic des maladies mitochondriales, il faut prendre avec la plus grande prudence toute anomalie au niveau du cycle de Krebs (également énoncée par certains Américains) sans qu’elle soit validée par une perturbation biologique du lactate, du pyruvate, du rapport NADH/NAD, ainsi que des autres substrats énergétiques.

C’est également avec la plus grande prudence qu’il faut prendre en compte la nature, la structure et l’impact d’un métabolite urinaire spécifique : je ne citerai que la phénylpropionylglycine (PPG) que j’ai été le premier à décrire [7, 8] comme marqueur d’une déficience en une enzyme mitochondriale, l’acyl-CoA déshydrogénase à chaîne moyenne (MCAD). Le résultat de son accumulation urinaire est en effet assez complexe car il correspond à un catabolisme « croisé » entre les métabolismes humain et bactérien. L’acide phénylpropionique (APP) ne peut provenir que de la phénylalanine et de l’action d’une ammonio-lyase bactérienne (non retrouvée chez l’homme) ; à l’inverse, l’homme peut dégrader l’APP par la MCAD en acide benzoïque par b-oxydation (non retrouvée chez les bactéries). Une déficience en MCAD va donc entraîner une accumulation d’APP qui sera ultérieurement conjugué à la glycine par le foie en PPG, excrétée telle quelle dans les urines. Cette particularité a été reprise par d’autres équipes comme outil diagnostique [9] et aussi comme épreuve de charge en APP pour la détection de la déficience en MCAD [10].

Les acides gras érythrocytaires polyinsaturés sont également une voie de recherche intéressante à suivre. Une carence très importante en acides gras essentiels de la série w3 a en effet été observée dans la population des petits autistes, et une étude est actuellement en cours sur les taux de répartition différentielle des acides gras entre les phospholipides et les triglycérides (plasmatiques et globulaires) pour mieux cerner les causes de cette carence liée à l’alimentation et l’environnement. Là encore une grande prudence s’impose car nous sommes probablement tous plus ou moins carencés en w3 sans avoir pour autant des troubles du comportement…

La tâche est donc difficile et les professionnels spécialistes du métabolisme doivent tenir compte en premier lieu des améliorations cliniques des petits patients plus particulièrement comme je l’ai déjà évoqué avec le régime SGSC, et s’associer aux psychiatres et psychologues pour définir un PEP afin d’objectiver les progrès observés sous régime SGSC. Par ailleurs certains paramètres (peptides urinaires, acides gras érythrocytaires, acides de dysbiose…) ne sont pas encore réalisés en milieu hospitalier, mais uniquement dans des laboratoires privés.

J’ai déjà évoqué le mercure, mais ce dernier pourrait être une des causes principales de l’autisme, comme « lien » entre tous les métabolismes perturbés avec une connotation particulière pour le métabolisme bactérien et/ou fongique et les acides de dysbiose qui sont très souvent perturbés. Le rapport 261 du Sénat Français (http://www.senat.fr/rap/100-261/100-261.html) est d’ailleurs extrêmement informatif sur les précautions à prendre pour l’élimination du mercure, largement utilisé dans certaines industries qui en déversent des quantités considérables dans l’atmosphère…

La motivation des parents autistes est évidemment légitime et exemplaire, et je ne peux que souhaiter que le rassemblement dans ce congrès de scientifiques s’intéressant aux problèmes métaboliques de l’autisme (premier congrès français s’inspirant du DAN) fasse progresser la connaissance et le traitement de l’autisme de la même façon que l’ont fait les parents du petit Lorenzo pour l’ALD-X…

Références

1. Aubourg P, Bougnères PF, Rocchiccioli F. Capillary gas-liquid chromatographic mass spectrometric measurement of very long chain (C22 to C26) fatty acids in microliter samples of plasma. J Lipid Res 26, 263-7 (1985).

2. Rocchiccioli F, Aubourg P, Choiset A. Immediate prenatal diagnosis of Zellweger syndrome by direct measurement of very long chain fatty acids in chorionic villus cells. Prenat diagn 7, 349-54 (1987).

3. Aubourg P, Blanche S, Jambaqué I, Rocchiccioli F, Kalifa G, Naud-Saudreau C, Rolland MO, Debré M, Chaussain JL, Griscelli C, Fischer A, Bougnères PF. Reversal of early neurologic and neuroradiologic manifestations of X-linked adrenoleukodystrophy by bone marrow transplantation. N Engl J Med 322, 1860-6 (1990).

4. Aubourg P, Adamsbaum C, Lavallard-Rousseau MC, Rocchiccioli F, Cartier N, Jambaqué I, Jakobezak C, Lemaitre A, Boureau F, Wolf C, Bougnères PF. A two-year trial of oleic and erucic acids ("Lorenzo's oil") as treatment for adrenomyeloneuropathy. N Engl J Med 329, 745-52 (1993).

5. Cartier N, Lopez J, Moullier P, Rocchiccioli F, Rolland MO, Jorge P, Mosser J, Mandel JL, Bougnères PF, Danos O, Aubourg P. Retroviral-mediated gene transfer corrects very-long-chain fatty acid metabolism in adrenoleukodystrophy fibroblasts. Proc Nat Acad Sci USA 92, 1674-8 (1995).

6. Kalach N, Rocchiccioli F, de Boissieu D, Benhamou PH, Dupont C. Intestinal permeability in children: variation with age and reliability in the diagnosis of cow's milk allergy. Acta Paediatr 90, 499-504 (2001).

7. Rocchiccioli F, Cartier PH, Bougnères PF. Mass spectrometric identification of abnormal aromatic compounds in the urine of a child with Reye's like syndrome. Biomed Mass Spectrom 11, 127-31 (1984).

8. Bougnères PF, Rocchiccioli F, Kolvraa S, Hadchouel M, Lalau-Keraly J, Chaussain JL, Wadman SK, Gregersen N. Medium-chain acyl-CoA dehydrogenase deficiency in two siblings with a Reye-like syndrome. J Pediatr 106, 918-21 (1985).

9. http://www.icondata.com/health/pedbase/files/MCADDEFI.HTM

10. Seakins JWT, Rumsby G. The use of phenylpropionic acid as a loading test for medium-chain acyl-CoA dehydrogenase deficiency. J Inher Metab Dis 11 (Suppl. 2) 221-4 (1988).


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